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Favoriser le retour au travail après un cancer ou un handicap : encore un (gros) effort
Article de Thomas Barnay, Professeur en sciences économiques, directeur du master 2 Economie de la santé à l'UPEC, publié sur The Conversation France
le 9 avril 2017
Photo : Les femmes ont davantage de difficultés que les hommes à garder leur emploi à la suite d'un cancer ou de la survenue d'un handicap. Cathryn Lavery/Unsplash
Reprendre le travail après avoir été soigné pour un cancer ou après un handicap causé par un accident ou une maladie relève, trop souvent, d’une course d’obstacles. Il existe aujourd’hui des données solides pour mesurer le retour à l’emploi après un problème de santé. Cinq ans après la survenue d’un tel événement, les difficultés rencontrées sont manifestes et persistantes.
Dans cette population, en effet, la proportion de personnes exclues de l’emploi un an après augmente de façon importante, d’une sur dix, comme le montrent nos travaux. Le phénomène est plus marqué, encore, chez les femmes, les salariés âgés et les moins éduqués.
Les candidats à l’élection présidentielle devraient, logiquement, se préoccuper de la mise à l’écart de personnes qui, souvent, expriment le désir d’un retour à l’emploi. L’analyse de leurs programmes montre une conscience du phénomène, mais les mesures avancées paraissent, pour le moins, modestes et isolées.
Des problèmes de santé qui touchent des personnes en âge de travailler
Pourtant, il ne s’agit pas d’un problème marginal. Selon l’Institut National du cancer, le cancer touche 385 000 personnes supplémentaires chaque année. Cette maladie concerne de plus en plus de personnes en âge de travailler du fait de la précocité des diagnostics et de l’allongement de la vie professionnelle. Par ailleurs, le taux de chômage des personnes handicapées atteint 18 % contre 10 % de la population totale en 2013.
De manière générale, les arrêts maladie éloignent durablement trop de salariés du marché du travail, comme souligné dans notre étude publiée en 2015 dans la revue Economie et statistique.
Deux sources de données pour mesurer l’ampleur du phénomène
Avant de se pencher sur les remèdes, il convient de mesurer plus précisément l’ampleur de la baisse d’emploi chez les personnes ayant connu une dégradation de leur santé. Pour ce faire, nous avons mobilisé deux sources : la base de données administratives de la Caisse nationale d’assurance vieillesse et de la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés, nommée Hygie, qui renseigne notamment sur la fréquence des arrêts maladie ; et l’enquête Santé et itinéraire professionnel (Sip), menée auprès d’un échantillon représentatif de la population de 20 à 74 ans. Les participants y sont interrogés sur leur état de santé et les ruptures éventuelles dans leur parcours professionnel.
À partir de ces sources, nous avons conduit deux études. La première, parue en 2015 dans la revue Annals of Economics and Statistics, porte sur l’effet du handicap sur la trajectoire professionnelle, et la seconde, parue la même année dans Economie et stastistiques, sur l’effet de la survenue du cancer. La méthode économétrique que nous avons utilisée permet de comparer le parcours de salariés victimes d’un handicap ou d’un cancer à celui de salariés ayant le même profil mais n’ayant pas subi d’atteinte à leur santé.
Les salariés du privé, plus pénalisés par la survenue d’un handicap
Première observation, les effets de l’apparition d’un problème de santé se manifestent très vite. Ainsi, l’année suivante le diagnostic de cancer, la proportion de personnes au travail durant un trimestre au moins baisse de 8 points de pourcentage. C’est-à-dire que près d’une sur dix rejoint les rangs de ceux qui ne travaillent pas ou peu. La survenue d’un handicap pénalise dans une même ampleur les salariés du secteur privé. Leur taux d’emploi, un an après, diminue de 9 points de pourcentage.
Cette première année correspond généralement à celle du traitement, ce qui explique l’exclusion importante du marché du travail. Plus inquiétant, le phénomène se maintient cinq ans après et même, s’intensifie. La perte d’employabilité chez les survivants du cancer atteint 13 points de pourcentage à ce terme, et celle après un handicap, 11 points de pourcentage.
Les femmes sont davantage pénalisées, globalement, que les hommes. Cinq ans après la survenue d’un handicap, par exemple, leur taux d’emploi diminue de 13 points de pourcentage, contre seulement 10 points chez les hommes. Ces disparités s’expliquent, en partie seulement, par des éléments objectifs, comme la nature des handicaps. Chez les hommes, ils sont souvent liés à des accidents – comme des accidents de la route – provoquant une incapacité transitoire. Les femmes sont davantage touchées par des maladies invalidantes, entraînant des handicaps durables.
L’exclusion du marché du travail touche aussi les jeunes
Nos travaux révèlent aussi que l’exclusion, plus forte après 50 ans, n’épargne cependant pas les plus jeunes. Ainsi, les hommes qui souffrent d’un handicap avant l’âge de 33 ans voient leur employabilité diminuer de 6 à 8 points de pourcentage.
Autre éclairage apporté, un haut niveau de formation initiale ou un salaire d’entrée élevé sur le marché du travail protège des ruptures professionnelles liées à un problème de santé. Par exemple, cinq ans après le diagnostic d’un cancer, la sortie d’emploi est trois fois plus fréquente pour les 40 % les plus modestes, comparés aux 20 % les mieux rémunérés. À la suite d’un handicap, la baisse du taux d’emploi est très variable en fonction du niveau d’éducation. La diminution est de 22 points de pourcentage pour une personne handicapée avec un niveau d’éducation primaire, contre une diminution de seulement 6 points de pourcentage pour une personne handicapée de niveau baccalauréat ou plus.
Ces résultats n’encouragent pas à l’optimisme, mais il existe néanmoins quelques motifs de satisfaction. La loi de 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées a alourdi les sanctions pour les entreprises ne respectant pas le taux légal de 6 % d’emplois handicapés de son effectif salarié. Par ailleurs, une étude en cours indique que parmi les femmes souffrant d’un cancer du sein, l’effet négatif sur leur emploi est plus faible pour les générations les plus récentes.
Propositions timides des candidats à la présidentielle
Face à cette situation, que préconisent les candidats à l’élection présidentielle ? Leurs propositions sont timides… voire inexistantes.
Emmanuel Macron, à la tête du mouvement En marche (page 23 de son programme), et Marine Le Pen, pour le Front national (mesure 89), prévoient de baisser la durée du droit à l’oubli à 5 ans, contre 10 ans aujourd’hui dans la plupart des cas. Le premier cite les survivants du cancer ou de l’Hépatite C, la seconde les personnes souffrant d’une affection de longue durée. Cet « oubli » légal permet aux personnes de souscrire un emprunt ou un contrat d’assurance sans faire état de leur maladie passée.
François Fillon, le candidat des Républicains, défend l’aide à la formation des aidants et des parents et promeut la formation en alternance des personnes en situation de handicap (chapitre Handicap de son programme).
Plusieurs candidats soulignent combien le rôle de la médecine du travail devrait être réaffirmé. C’est le cas de Jean-Luc Mélenchon, pour la France insoumise, qui propose de réintroduire la visite médicale obligatoire à l’embauche et ensuite périodiquement. Benoît Hamon, pour le Parti socialiste, annonce aussi vouloir renforcer la médecine du travail.
La revalorisation de l’allocation adulte handicapé
D’autres propositions concernent les personnes handicapées à faibles ressources (moins de 10 000 euros annuels pour une personne vivant seule). Ainsi l’objectif de revalorisation de l’Allocation adulte handicapé (AAH), le revenu minimum destiné aux personnes handicapées (810 euros à taux plein) est explicite dans les programmes d’Emmanuel Macron (augmentation de plus de 100 euros par mois), de Jean-Luc Mélenchon (réévaluation à hauteur du smic) et de Marine Le Pen.
Au regard de nos résultats et de ceux de la littérature économique, il apparaît aujourd’hui impérieux d’intervenir, de façon significative, pour sécuriser les parcours professionnels face à ces « chocs de santé ». Parmi les pistes à explorer figurent l’aménagement des conditions de travail, l’accès à la formation continue et des efforts d’accompagnement ciblés vis-à-vis des populations les plus à risque d’exclusion ou des pathologies les plus pénalisantes.
Thomas Barnay, Professeur en sciences économiques, directeur du master 2 Economie de la santé, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC)
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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