Thierry MARTENS et Christophe MORIN analysent les impacts d’un nouveau produit de transformation de ce médicament diurétique. Ils cherchent à évaluer son potentiel toxique et son mécanisme d’action et ont mis en lumière qu’il pourrait être un inducteur chimique des marqueurs de la maladie de Parkinson.
Comment définiriez-vous simplement le périmètre d’étude de vos travaux actuels ?Notre projet s’insère dans un contexte général d’études pour mieux cerner les transformations chimiques et biochimiques de médicaments dans notre environnement. Les spécialistes évaluent à une dizaine les médicaments à forts risques environnementaux. Nous conduisons nos travaux sur l’un d’entre eux, le Furosémide, un diurétique. Nous l’avons choisi pour plusieurs raisons. Il s’agit d’un produit ancien, utilisé depuis les années 1960, dont 45 tonnes environ sont prescrites chaque année en France, et dont on retrouve la trace dans l'environnement.
Nous avons synthétisé et détecté un nouveau produit de transformation lors de la dégradation du Furosémide, le pyridinium du Furosémide (PoF). Nous étudions ce composé de transformation, et avons mis en lumière que le PoF est un inducteur chimique des marqueurs de la maladie de Parkinson.
Quels sont les axes principaux de votre projet de recherche ?Initialement, les travaux de recherche sur le Furosémide ont été conduits par une doctorante, Céline Laurencé, qui a soutenu sa thèse en 2011, puis poursuivi en post-doctorat sur la période 2012-2014. Ses travaux ont permis la mise au point de la synthèse du PoF à partir du Furosémide et la mise en évidence de ses propriétés inductrices in vitro et in vivo dans les premiers modèles utilisés. Elle a par ailleurs montré, par l’utilisation de méthodes de transformation biotiques et abiotiques, que le PoF est un produit de transformation environnementale plausible du Furosémide.
Les recherches se poursuivent actuellement dans deux directions.
D’une part, les chercheurs de l’ICMPE travaillent à la détection de la molécule PoF dans l’environnement. Grâce à une convention avec le service d’assainissement du département du Val de Marne, nous recueillons des échantillons d’eau à la fois juste avant leur entrée en stations d’épuration, et également dans les cours d’eau. Pour détecter la molécule, nous utilisons une plate-forme chromatographique, acquise grâce à un financement obtenu suite à un appel à projets régional dans le cadre
d’un « Domaine d’Intérêt Majeur » et à un important cofinancement de la part de l’UPEC.
D’autre part, les chercheurs du CRRET travaillent à la caractérisation des effets de cette molécule dans différents modèles in vivo (souris, rat, poisson-zèbre). Nous exposons ces animaux au PoF par voie orale. Nous avons observé que les marqueurs de la maladie de Parkinson apparaissent plus lentement qu’avec d’autres molécules.
Pouvez-vous préciser ce que vous avez mis en évidence et nous expliquer son intérêt scientifique ?Pour mieux comprendre, il faut indiquer que la maladie de Parkinson peut être induite chimiquement. Quelques molécules possèdent cette propriété, et les chercheurs les utilisent pour cela. Mais ces molécules ont plusieurs inconvénients majeurs : elles sont brutales, elles possèdent une toxicité générale élevée, la voie d’administration -par injection- de ces inducteurs est traumatisante.
La molécule que nous étudions, le PoF, produit les mêmes effets (apparition des marqueurs biologiques classiques de la maladie de Parkinson), mais elle semble agir de manière plus progressive que les autres inducteurs, et donc de manière plus proche des conditions de développement des maladies neurodégénératives. Après 7 jours d’administration par voie orale du PoF, les marqueurs de la maladie apparaissent 5 semaines après, sans causer la mort, à ce stade, d’aucun animal de laboratoire.
Le PoF apparaît donc comme un bon « outil », utile pour mieux comprendre ce qui se passe dans la maladie, nous éclairer sur des étapes capitales dans la mise en place des processus de la neurodégénérescence, pour identifier des cibles biologiques et permettre de développer de nouvelles stratégies thérapeutiques pour la maladie de Parkinson ou d’autres maladies neurodégénératives.
Travaillez-vous sur ces sujets en lien avec d’autres unités de recherche ?Nos deux laboratoires CRRET et ICMPE travaillent en étroite et féconde collaboration depuis plusieurs années. D’importantes synergies entre nos deux équipes se sont créées quand nous avons travaillé sur ce thème dès 2012, via le projet PYPARK soutenu par le Conseil scientifique de l’UPEC, dans le cadre de l’appel d’offres interdisciplinaires. Nous avons uni nos compétences en chimie et en biologie, et travaillé également avec des collègues du
Laboratoire Images, Signaux et Systèmes Intelligents (LISSI) de l’UPEC.
D’autres collaborations sont en projet, avec le
Laboratoire Eau Environnement et Systèmes Urbains (LEESU) et le
département des sciences du sol et de l’eau de l’Institut d’Ecologie et des Sciences de l’Environnement de Paris (SOLéO-IEES).Une collaboration avec l’équipe du Professeur Philippe Le Corvoisier du Centre d’Investigation Clinique du CHU Henri Mondor est en projet. La plate-forme de ressources biologiques du CHU permettra de constituer puis d’analyser une collection des prélèvements urinaires de patients traités au CHU (Professeur Bijan Ghaleh, Docteur Caroline Barau). Les démarches réglementaires pour permettre de démarrer cette étude de détection de la molécule chez l’homme sont en cours.
Nous sommes également en lien notamment avec le professeur Mehmet Ali Oturan du
laboratoire « géomatériaux et environnement » de l’UPEM, qui travaille sur la modélisation des traitements d’élimination des médicaments, grâce notamment au processus d’oxydation avancée.
Envisagez-vous des valorisations possibles ?En 2012, nous avons déposé un brevet, avec
le Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS), pour la mise au point d’un nouveau modèle de maladie neurodégénérative et l’utilisation de la molécule pyridinium du Furosémide.